Laurent Berger : « Il faut des états généraux du pouvoir de vivre »
Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, plaide pour un nouveau modèle social et économique construit sur la base d’une vaste concertation. Il demande la tenue d’états généraux du pouvoir de vivre. Pour lui, il faut également un protocole de reprise d’activité clair pour permettre ce déconfinement prévu à partir du 11 mai. Il répond aux questions d’Oriane Mancini.
Par Oriane Mancini 15mn
Point presse d’Édouard Philippe :
Moi
je n’aime pas polémiquer. Il faut que l’on soit tous très
humbles. Je ne critiquerai pas un Premier ministre qui vient
expliquer aux Français où on en est. Bien sûr, il y a encore des
questions sans réponse mais je ne veux pas porter de jugement de
valeur sur ce point presse. Il y a encore beaucoup d’incertitudes
comme sur l’école ou le matériel médical mais qui sont liées à
cette situation compliquée.
Moi je préfère ça, que l’on
nous dise que l’on ne sait pas tout plutôt que nous faire croire
des choses qui se révéleraient fausses. »
Les visites dans les EHPAD :
C’est
une bonne chose sur le plan humain. Tous ces aînés qui sont partis
sans avoir pu voir ceux qu’ils aiment, c’est une épreuve
terrible.
Par contre, ces visites doivent se faire en toute
sécurité pour les agents.
Dans les EHPAD, la situation est
difficile depuis longtemps et nous avons fait de nombreux
rassemblements devant le ministère du Travail pour expliquer
l’absence de moyens et de considération.
Demain, cette visite
des familles doit se faire dans des conditions optimales pour les
personnels et pour nos anciens. »
Le retour à l’école :
Là
encore, cela doit se passer dans des conditions de sécurité et de
santé. Il faut que ce soit fait en concertation avec les agents
territoriaux, avec les enseignants, avec l’ensemble des personnels
qui interviennent dans les écoles.
Moi je ne suis pas qualifié
pour savoir si c’est le bon moment ou pas. Ce qu’il y a de sûr
c’est que cela crée beaucoup d’incertitudes chez les parents. On
se rend bien compte que les enseignants sont indispensables pour
transmettre des connaissances et créer du lien social mais encore
une fois, il faut des conditions optimales.
Évidemment c’est
important aussi pour reprendre une activité économique que les
enfants reprennent le chemin de l’école mais on a bien vu que cela
se fera de manière très progressive.
Sécurisons école par
école, établissement par établissement mais pas avec des
injonctions venant d’en haut.
Cette crise illustre toutes les
inégalités que connaît notre société et en particulier celles
liées à l’accès à l’apprentissage. Bien sûr, ce retour
à l’école est indispensable mais cela ne se fera pas sans des
conditions de sécurité pour les personnels et enfants et en
dialoguant. »
Le droit de retrait :
À
chaque fois qu’il y aura un doute, il ne faut pas rouvrir. Si cela
se fait de façon verticale sans dialogue social dans les
administrations comme dans le privé, alors l’exercice du droit de
retrait existe.
Il faut être intelligent avant et faire en
sorte que par des accords, par des règles claires et des moyens de
protection, les conditions de reprise soient bonnes.
Si ce n’est
pas le 11 mai ce sera plus tard et il faut regarder établissement
par établissement, entreprise par entreprise. »
La géolocalisation :
À
titre personnel, je suis très réservé. Notre pays doit faire vivre
sa devise. La question de l’égalité comme de la fraternité est
très posée aujourd’hui. Sur les libertés, il faut faire
attention de ne pas aller sur des voies qui seraient renoncer à des
formes de liberté.
Si ce traçage devait se faire, il faudrait
que ce le soit avec un opérateur qui soit totalement sous maîtrise
publique, avec un effacement des données personnelles rapide et avec
un contrôle démocratique.
J’espère que l’on pourra y
échapper. »
Le déconfinement :
Nous avons des discussions avec la ministre du Travail et de l’Économie.
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation d’attente et de craintes de la part des citoyens et des travailleurs.
Aucun plan de déconfinement ou de reprise d’activité ne peut se faire sans que l’on puisse confronter nos points de vue.
J’espère que l’on va pouvoir dire nos visions, nos revendications et nos propositions pour faire face à ce déconfinement dans les jours à venir. »
Un protocole de reprise :
«
Sur la reprise du travail dans les administrations comme dans le
privé, on souhaite qu’il y ait des négociations de protocole de
reprise d’activité.
Il faut s’interroger sur la façon dont
on peut reprendre en termes de protection individuelle et collective,
en termes d’organisation du travail. Il faut rassurer et faire en
sorte que les conditions de santé soient optimales.
La question
de la poursuite des mesures de soutien aux entreprises et salariés
se pose également. Il faut continuer à avoir un haut niveau de
prise en charge de l’activité partielle et de soutien à
l’économie avec des mesures très concrètes.
Pour nous, les
organisations syndicales et patronales doivent d’abord arriver à
se mettre d’accord sur une sorte de check List des questions à se
poser dans chaque lieu de travail.
Ensuite, chacune des branches
devra faire ce travail et aussi que ce protocole soit discuté dans
chaque entreprise.
Si on ne fait pas ça, ça ne marchera
pas.
Prenons ce temps pour discuter et négocier les conditions
de reprise. Si ça se fait dans le dialogue, il y a un accord qui
peut s’opérer. Si ça se fait de façon unilatérale, on aura des
craintes, des résistances et je crois beaucoup de conflits. »
Les conditions de reprise :
La
question des moyens de protection est centrale. On ne peut pas faire
l’impasse sur cette question.
Nos représentants font un
travail énorme depuis plusieurs semaines. On a ouvert une boîte aux
questions qui a plus d’1 million de vues. On a ouvert une boîte
mail pour que les salariés puissent poser leurs questions et l’on
y répond un par un.
On va continuer ce recensement des
difficultés mais aussi des choses positives et continuer à
interpeller les entreprises concernées et les pouvoirs
publics.
C’est notre travail syndical. Nos 2 grands axes
ce sont les conditions de sécurité et l’abus du chômage partiel.
Quand il y a un cas, on interpelle le ministère et on lui demande de
réagir. »
Le plan de soutien :
Il ne
faut pas repartir comme avant. Il faut un plan de relance avec de
grands principes. Quel modèle on veut pour demain ?
Moi je
pense qu’il faut des états généraux du pouvoir de vivre.
Il
faut se poser la question des grands principes qui doivent dicter nos
politiques publiques.
Le plan de relance devra être économique
mais aussi écologique et intégrer de la justice sociale.
Prenons
ce temps pour fixer ces principes et confronter nos points de vue au
niveau national et local. Il faut une sorte de commissariat
général au plan pour savoir comment on va mettre en place ce
nouveau modèle de développement.
Parmi les premières mesures,
on ne peut pas revenir à une logique purement budgétaire mais il
faut redonner du sens.
J’ai peur que l’on reparte comme
avant ou que l’on fonctionne à coup de slogans. Je
plaide pour un changement radical dans la démocratie et par le
dialogue.
Il faut se fixer de nouvelles règles et de nouveaux
indicateurs pour définir ce qu’est le progrès. »
Travailler plus :
C’est
clairement le type de vieilles lunes qui reviennent et qui n’ont
pas de sens dans cette période.
Moi ce qui me préoccupe ce
n’est pas que l’on travaille plus mais que l’on travaille
tous. Dans les entreprises, il y aura des accords pour permettre
le maintien de l’activité et des emplois mais revenir sur la durée
légale du travail, on n’attend pas ça.
On attend de savoir
comment on recrée du commun. »
La réforme des retraites :
La CFDT
continuera à dire qu’il faut un système universel des retraites
parce que c’est une question de justice sociale.
Dans les mois
à venir, ce ne sera pas le sujet parce que ça divise et qu’il
faudra d’abord définir ensemble le modèle à venir.
Ce n’est
pas la peine de remettre de l’huile sur le feu. On ne renonce pas à
cette ambition mais ce n’est pas d’actualité et sans doute pas
d’ici la fin du quinquennat. »
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